Revue de Presse
Musubi, l'harmonie
dans la pratique


Article paru dans Aikido Magazine de juin 2001.
Extrait de "Les principes de l'Aikido" de Maître Misugi Saotome, livre paru depuis en Français aux éditions Allo Sport.


Pour Mitsugi Saotome, 8ème dan, la pratique de l'Aïkido est le chemin qui doit mener à la réalisation de soi. L'acquisition des techniques fondamentales, et les grands principes développés par le fondateur doivent fusionner pour mener à une parfaite harmonie.
L'Aïkido est l'étude de la sagesse. Si vous ne pouvez ni vous contrôler ni croire en vous-même, si vous ne pouvez pas voir en vous clairement, alors vous ne pourrez jamais connaître les autres, et vous ne serez certainement pas capable de les contrôler. Le but de l'entraînement en Aïkido n'est pas de former des combattants agressifs, mais de travailler la sagesse et le contrôle de soi. En tant qu'étudiant en Aïkido, vous devez apprendre à vous améliorer et à vous polir, et non à rentrer en compétition avec les autres. La clé de ce processus, et le coeur de l'Aïkido est le Musubi.
Ce mot se traduit facilement par « unité », ou « interaction harmonieuse ». En pratique, le Musubi signifie l'habileté à s'harmoniser, tant physiquement que mentalement, avec l'énergie et le mouvement de votre partenaire. Le Musubi est l'étude d'une bonne communication. Dans n'importe quelle interaction entre les gens, la communication existe, même sans connaissance préalable. C'est aux participants impliqués dans une interaction de déterminer si la communication serait productive ou sans efficacité, amicale ou hostile, vraie ou inappropriée.

"La coopération est toujours primordiale dans l'entraînement de l'Aïkido. Presque touts les pratiques sont faites avec un partenaire, et la relation avec les partenaires doit être une manifestation du Musubi."
Musubi peut donc signifier la capacité à contrôler, à altérer l'interaction, à changer une approche hostile en une rencontre saine, à transformer une attaque en une poignée de mains. Musubi est à la fois une méthode d'apprentissage et le but de l'étude.Musubi, dans son ultime amélioration, relate l'accomplissement d'un sens de l'harmonie universelle. Techniquement, Musubi se traduit par l'habileté à contrôler les rencontres dans un sens mutuellement bénéfique. Une telle habileté peut-elle s'accomplir par la force, par la contrainte, ou bien en effrayant la personne à qui l'on enseigne? Non. Musubi doit être enseigné et étudié en accord avec les principes qui l'illustrent, de telle sorte la conscience des étudiants en Aïkido soit redéfinie au fur et à mesure qu'évoluent les mouvements du corps. Musubi doit être enseigné à travers de bonnes interactions, dans une direction ferme, mais bienveillante.
Apprendre à répondre aux attaques par le Musubi est un processus long et difficile. On ne peut pas se battre avec un débutant et lui dire: « Ne te bat pas harmonise, harmonise! » Le débutant ne va pas harmoniser, mais réagir avec la peur et l'agressivité, des réactions instinctives provoquées par toute menace. Le débutant cherchera à se défendre en étranglant ou frappant l'agresseur.
En Aïkido, le but n'est pas d'exciter ces instincts animaux, mais de les maîtriser, de les contrôler. C'est pourquoi, et tout particulièrement avec les débutants, nous utilisons toutes sortes d'attaques variées. L'étudiant débutant n'est pas formé pour gérer dans le calme, ou avec des techniques appropriées, des attaques réelles comme les coups de poings ou les coups de pieds. Les saisies permettent au débutant d'étudier des techniques sans aucune peur, dans une interférence physique saine en apprenant les réponses correctes. Plutôt que de s'engager dans le combat ou la compétition, l'étudiant affine à la fois le mouvement et l'esprit. L'étudiant apprend le contrôle de lui-même, du partenaire, et de la relation qui les unit. Les saisies ont l'avantage de reposer sur un contact physique entre partenaires de telle sorte qu'ils soient tout deux capables de ressentir un vrai travail sur le mouvement. S'il n'y a pas de contact physique, les étudiants débutants ne parviendront jamais à explorer la mécanique de la technique.


L'ÉTUDE DE LA SAGESSE
La pratique pour les débutants devrait souvent commencer avec des prises statiques. Ceux-ci permettent l'étude d'une posture correcte, le travail des pieds, et la position du corps. Les étudiants devraient alors progresser dans les prises en mouvement, qui permettent le développement d'un sens du temps et de la distance et l'exploration d'un relationnel spatial entre eux les partenaires.

Les étudiants peuvent commencer a apprendre à s'ajuster à des degrés différents de forces, de vitesse et de direction. Ils peuvent commencer à travailler dans la confiance leur capacité à communiquer avec leurs partenaires, à construire leur sens de l'intuition concernant les mouvements et les intentions de leurs partenaires.

La coopération est toujours primordiale dans l'entraînement de l'Aïkido. Presque toutes les pratiques sont faites avec un partenaire, et la relation avec les partenaires doit être une manifestation du Musubi. Les deux Nage et Uke supportent cette responsabilité. Alors que Nage doit s'entraîner pour s'harmoniser avec lui, plutôt que de se battre contre lui, Uke doit apprendre à attaquer de la façon appropriée à la technique étudiée. Cette coopération établit les bonnes conditions pour apprendre. Par exemple, si l'enseignant a démontré une technique incluant une projection frontale, c'est approprié pour Uke de pousser en avant. Si au lieu de cela, Uke tire en arrière, tentant de contrer, ceci réduirait la pratique à un combat, et aucun étudiant ne pourra apprendre comment fonctionne la technique. Les étudiants avancés peuvent tirer un bénéfice appréciable de ces attaques inattendues, en pratique libre, et tenter de contrer en retour. Mais cela ne peut être accompli qu'après des années de pratique, conditions requise, pour ces actions.

L'étude de l'Aïkido est l'étude de la sagesse, et la sagesse, en large partie, est la possession d'un large sens. Un sens commun, malheureusement plus rare que son nom pourrait impliquer. En ce sens c'est perdu ou jamais appris. L'entraînement au Musubi et des principes de base de l'Aïkido invoquent le réapprentissage d'un sens commun. Nous trouvons cela évident dans les mouvements de base de défense Irimi et Tekan. Ces deux mouvements peuvent aussi être appelés Irimi-Tenkan, comme le Yin et le Yang sont des parties d'un tout.

Irimi et Tenkan sont deux mouvements que les gens utilisent dans la vie de tous les jours sans aucune pensée. Imaginez que vous êtes en train de marcher dans une rue encombrée par un flot de piétons. Vous voyez quelqu'un venir directement vers vous, marchant dans la direction opposée. Allez-vous reculer brusquement vers les gens qui arrivent derrière vous? Bien sur que non. Vous allez continuer à avancer en pivotant légèrement sur un côté pour laisser le passage à la personne qui vient sur vous. Ceci est un exemple d'Irimi. Maintenant imaginez que cette personne vous pousse tandis que vous vous croisez. Allez vous vous accrocher à lui au risque de perdre votre équilibre ? Non, vous allez pivoter afin de conserver votre équilibre et de continuer à marcher. Ceci est Tenkan. Les deux mouvements sont simples, des exemples naturels du bon sens commun. N'importe qui peut les appliquer, leur extrême simplicité et leur universalité confirment leur vérité.


Pour saisir la profonde harmonie de l'Aikido, un travail minutieux sur les enchaînements techniques est nécessaire.
Mais la personne qui n'est pas entraînée en Aïkido, voyant quelqu'un venir sur elle pour une attaque risque de commettre la même erreur que le piéton dans une rue encombrée: reculer brusquement. Lors d'une poussée hostile, la personne agressée tente de bloquer ou de saisir l'assaillant pour garder son équilibre. Dans une rue encombrée, une personne montrera une compréhension naturelle du Musubi. Mais face à une menace, notre esprit régresse sous l'emprise de la peur, notre corps perd son habileté à réagir efficacement en conservant toute son habileté.L'entraînement en Aïkido, au travers d'un processus graduel et coopératif, nous apprend à appliquer les principes du Musubi dans des situations difficiles. Il enseigne à l'esprit la façon de garder son calme, à la vision de rester claire, de façon à ce que la peur, la colère, ou le manque de confiance n'entravent pas les mouvements du corps. Il rend notre corps souple et apte à toute réponse. La pratique permanente procure à notre corps la sagesse de l'expérience. De cette façon, le corps devient tout à la fois le reflet et la manifestation physique de l'esprit. Le corps et l'esprit travaillent ensemble, toujours dans cette relation du Musubi, nous permettant de réagir avec efficacité et simplicité, à rester attentif sous la pression, plutôt que de se laisser dominer et contrôler par les circonstances.

L'ÉNERGIE CIRCULAIRE
On peut observer qu'arrivés à un haut niveau de pratique, les étudiants de l'Aïkido se frappent et se projettent très durement. Mais ils ont été amenés à ce stade de leur entraînement par des étapes successives qui ont éduqué l'esprit tout autant que le corps. Ainsi, une attaque brutale devient un défi à relever et non plus une agression. Le propos des frappes de la main ou du pied dans la pratique n'est pas une tentative de détruire un ennemi, mais un moyen de découvrir vos propres capacités ainsi que celles de votre partenaire: force, équilibre, intuition et stabilité mentale. Au lieu d'agir les uns envers les autres avec suspicion, angoisse ou esprit de compétition, vous rencontrez votre partenaire de pratique avec concentration, sincérité, et un véritable sens d'épanouissement.
Gardez en tête cet exemple de la façon dont Irimi et Tenkan opèrent automatiquement dans les situations de votre vie quotidienne. Une autre application importante de Musubi se rencontre dans cette même rue encombrée. Lorsque vous croisez le piéton qui avance vers vous, votre réaction reflète et répond à l'atittude de l'autre personne plutôt que rentrer en conflit avec elle. La rencontre vous-même et l'autre piéton se fait dans un flux souple et continu, avec un don et une prise de force et de direction. Ceci est un autre élément du Musubi, et peut-être le plus important: l'apprentissage de la sensation et de l'utilisation de l'unité de l'énergie.
Voila pourquoi Kokyu Tanden Ho, ainsi que le disait 0 Senseï, est la base de l'entraînement du Musubi. Kokyu Tanden Ho n'est pas une technique de combat, mais l'étude des relations physiques et du mouvement. Dans cet exercice, deux partenaires sont assis en Seiza l'un en face de l'autre. Uke agrippe Nage. Nage, utilisant tout son corps dans une unité coordonnée, tente de déséquilibrer Uke. Le propos de Kokyu Tanden Ho est de découvrir le principe de l'énergie circulaire. Alors que Uke agrippe fermement les poignets de Nage et provoque une résistance, Nage reçoit cette énergie que Uke lui donne et la retourne vers le centre d'équilibre de Uke. Tout le corps de Nage doit agir dans l'unité. Nage doit porter la prise de Uke en extension, avec ses bras agissant comme des ressorts afin de se replier avant de se détendre à nouveau. Il doit Inspirer lorsque Uke l'attrape, et expirer en renvoyant la force d'Uke. Son esprit doit rester souple et réceptif.
Kokyu Landen Ho n'est pas un exercice réclamant un esprit de compétition entre les partenaires, ce n'est pas un concours de force. Uke fournit suffisamment de force pour solliciter Nage, mais sans aucun excès, car alors l'exécution de l'exercice deviendrait impossible. Nage ne doit pas chercher à projeter Uke mais doit se servir de cet exercice pour étudier l'équilibre, la respiration, et l'union de énergies physiques et mentales. Ainsi, au fur et à mesure de cotre progression, vous découvrirez que la force de votre adversaire travaille à votre avantage. Et cela parce que Kokyu Tanden Ho travaille sur le principe du Musubi. En absorbant 1lénergie et en la retournant, on aboutit à la combinaison des énergies de Uke et de Nage. Nage dispose ainsi de sa propre force, mais aussi de celle de Uke. Plus Uke résiste et mobilise sa force, plus l'outil dont dispose Nage sera important, Cette circularité de l'énergie est l'essence du Musubi.
Vous devez appliquer les principes du Musubi lorsque vous vous entraînez, lors de l'exécution de Kokyu Tanden Ho, mais également dans chacune de vos techniques d'Aïkido. C'est Musubi qui vous permettra d'atteindre ce point où votre taille et votre force ne feront plus la différence dans votre habileté à exécuter la technique. Si vous échouez dans votre approche du Musubi, dans son intégration dans vos techniques, vous resterez toujours à la merci de la force des autres, vous serez toujours en danger de retomber dans la lutte et la compétition. 0 Senseï répétait encore et toujours à ses élèves que les principes qui gouvernent la nature sont les mêmes que ceux qui gouvernent l'Aïkido. Un petit oiseau peut voler dans un vent léger, mais il ne peut lutter contre son souffle. Il doit se servir de la force du vent pour aider sa progression. Vous pouvez piloter avec succès un petit bateau sur une mer démontée, mais uniquement si vous connaissez la façon de prendre les vagues. De la même façon, l'étudiant d'Aïkido doit apprendre à recevoir la force et à la transformer en alliée plutôt que de la combattre. C'est la sagesse, et c'est la réalité du Musubi.

PRATIQUE ET CONFIANCE
Alors que vous continuez à vous entraîner, votre habileté à utiliser les principes du Musubi doit s'accroître. Le débutant a besoin du contact physique pour ressentir le contact physique entre son partenaire et lui-même. Le pratiquant avancé apprend à maintenir cette connexion avec de moins en moins de contact physique. Certaines techniques peuvent même être exécutées sans le moindre contact physique. La pratique quotidienne augmente votre capacité à vous relier non seulement avec les personnes avec qui vous pratiquez, mais également avec tout le monde, parce que cette pratique élargie votre Vision, votre intuition et votre sensibilité. Dans votre vie quotidienne, il y a moins de contacts physiques avec les autres, mais les leçons de votre entraînement peuvent être appliquées de façon profitable dans votre relation aux autres, et votre relation avec toute l'humanité. Ce processus de vous libérer de vos aveuglements, de permettre à votre conscience de s'épanouir, d'inclure tout ce qui se présente, ce processus la ne doit jamais prendre fin.
Pour conclure, rappelez-vous que pour atteindre le Musubi dans votre pratique, vous devez établir des relations de confiance avec vos partenaires d'entraînement. Sans confiance, vous ne pouvez pratiquer l'Aïkido. Les Bujutsu anciens formaient des combattants redoutables, mais ils ne prônaient pas nécessairement l'illumination de l'esprit. La plupart du temps, les élèves des Bujutsu étaient sévèrement punis, cela développait en eux une méfiance exacerbée, une conscience paranoïaque, une mentalité de bagarreur de rue. Le propos de l'Aïkido, au contraire, est d'élever l'esprit, de l'améliorer, de gagner la force à travers la sagesse, et non à travers la brutalité.

Mitsugi Saotome Sensei s'est imprégné des principes fondamentaux de l'Aikido comme Uchi Deshi auprès de Morihei Ueshiba
C'est pourquoi le processus de l'entraînement en Aïkido est si important. Par l'éducation graduelle qu'il reçoit, l'étudiant de l'Aïkido perfectionne son habileté et en vient à demander un entraînement plus sévère. La signification de son entraînement est alors modifiée. Les chutes brutales, les frappes sèches ne sont plus des instruments de menace, mais des outils qui servent à améliorer l'habileté du pratiquant. La différence entre les Bujutsu anciens et l'Aïkido dans la sévérité de l'entraînement est la même qu'entre un incendie de forêt et un feu de forge contrôlé. Le premier détruit, déforme et tue. Le second, avec une chaleur et une intensité égale, améliore le métal brut, le façonne, et le transforme en objet de beauté. Les pratiquants d'Aïkido doivent toujours se rappeler que le but de leur entraînement ne vise pas à intimider le partenaire, ou à masquer leur ego par une auto-indulgence lorsque le partenaire progresse. Il vise à les pousser au dépassement de soi, à une recherche de progression permanente. Si ces qualités de confiance, de coopération, d'ouverture d'esprit et de générosité dans la pratique de l'Aïkido permettent à ses pratiquants de rejeter la peur qui les limite, qui inhibe leurs capacité à agir avec les autres, si ces qualités les conduisent à gagner la confiance en eux-mêmes, à se mettre en communication harmonieuse avec les autres, alors le Musubi est accompli. Sans le Musubi, l'Aïkido n'est plus l'Aïkido, mais une technique de combat comme n'importe quelle autre.
Mitsugi SAOTOME
The Principles of Aïkido
Traduit de l'américain par
Christophe Champclaux

Merci à Saotome Sensei, à Aikido Magazine, aux éditions "Allo sport", pour leur autorisation à reprendre ce texte.


Merci enfin à Marie-Hélène
pour son aide à la saisie de ce texte.

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Les Principes de l'Aïkido
de Mitsugi Saotome
aux éditions Allo Sport pour la version française 2003
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