Livres
Les Principes
de l'Aïkido
De Mitsugi Saotome

Trouvez ci-dessous le quatorzième chapitre du livre de Saotome Sensei "Les principes de l'Aïkido" édité en français chez "Allo Sport".  Nous remercions L'éditeur tout particulièrement pour son autorisation à vous délivrer cet extrait. Nous espérons que ce texte vous donnera l'envie d'en savoir plus sur le maître, en achetant son livre par exemple... et pourquoi pas, en vous joignant à notre groupe de recherche...
Les Principes de l'Aïkido
de Mitsugi Saotome
aux éditions Allo Sport pour la version française 2003
Budo : le Principe
originel de l'Aïkido
En de nombreuses occasions, j'ai entendu mon regretté maître O sensei Morihei Ueshiba parler de la véritable nature du budo. Lors d'une de ses conférences, il dit : « je suis sûr que beaucoup d'entre vous associent l'essence du budo à un militarisme sauvage et brutal. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité ». Dans l'ancien concept de kannagara no michi, l'idéal du budo était la voie du sage. Le mot pour sage, hijiri, signifie littéralement « celui qui comprend l'esprit ». Cet esprit est l'esprit de bienfaisance universelle et constitue la fondation pour construire le paradis sur terre. C'est le principe de l'harmonie universelle. L'empereur Meiji a exprimé cet esprit dans le poème suivant : « pour gouverner le coeur de millions de personnes, la première priorité est l'affection ».
Le fondateur de l'Aïkido avait aussi l'habitude de dire : « la voie du budo est la voie qui établit l'harmonie »
.
L'interprétation du budo d'O sensei provient de nombreuses sources, et tout d'abord du Kanji pour le mot bu. Ce kanji est composé du caractère hoko qui veut dire « lance » et symbolise les armes en général et le caractère todomeru qui veut dire « arrêter ». Ainsi bu veut dire littéralement « arrêter les armes ». On le traduit souvent par « guerre » ce qui n'est pas tout à fait le même chose. La définition du dictionnaire de guerre est « conflit au moyen de forces armées » alors que la véritable signification de bu, littéralement et dans son contexte historique, comprend un ensemble plus large de concepts. Comme l'indique le kanji, le but initial de bu était d'arrêter la guerre, de protéger les gens des armes. Budo et Bushido était la voie du samouraï. Le mot samouraï signifie « celui qui sert ». Un vieux proverbe exprime bien ce que devrait être la vraie tache du samouraï ou bushi : »Le samouraï est la première personne qui souffre d'inquiétude pour la société humaine et le dernier à rechercher un palisir personnel ». L'attitude correcte du samouraï envers les gens du commun était l'amour et la sollicitude comme un père pour ses enfants. On appelait aussi les samouraï yukoku no shi ou « nobles gardiens de la nation ». Ils étaient les serviteurs de l'empereur et des dieux et c'était leur responsabilité de préserver kannagara no michi, la voie de l'empereur et des dieux sur leurs terres. Le budo avait pour mission de protéger l'ordre de la société, pas de promouvoir l'utilisation inconsidérée de la violence et de la force brutale.

Le livre de Maître Saotome est constitué de 21 chapitres
illustrés par de nombreuses planches photographiques.
Celles-ci décomposent en parallèle les techniques
à mains nues et aux armes.

Pour accomplir cette mission, un budoka devait être plus qu'un tacticien militaire. C'était de la classe des samouraï dont était issue la plupart des gouvernants de la société, pas seulement les généraux mais les gouverneurs, les guides spirituels, les enseignants et toute autre personne responsable du bon fonctionnement de la société. Gagner la guerre ne constituait qu'une petite part de ce que signifiait suivre la part du budo. Les samouraï ont continué à tenir ce rôle de gestion et de protection de la société jusqu'à ce jour. C'étaient les membres de la caste des samouraï qui ont compris que la venue de l'amiral Perry allait entraîner des changements inévitables pour le Japon. Alors que le gouvernement des Tokugawa restait accroché à ses rêves isolationnistes, les samouraï les plus éclairés ont pris des mesures pour assimiler les technologies modernes qui leur étaient offertes. Leurs actions ont ouvert la voie à la restauration Meiji, à la modernisation et à l'industrialisation rapide du Japon. Ces samouraï n'ont pas abandonné leurs traditions ni la voie du budo mais les ont utilisées pour le bien commun.
Cette perception bienveillante du budo s'est également manifestée par la rapidité surprenante de la reconstruction complète du Japon après la Deuxième Guerre mondiale. L'amour de leur pays, la compassion pour leurs frères humains, leur capacité de gestion et de gouvernement et leur volonté de faire passer au second plan leurs besoins personnels par rapport aux besoins de la société entière, telles sont les qualités qui ont permis aux dirigeants japonais de reconstruire un pays battu et ravagé par la guerre pour en faire la société saine et forte économiquement d'aujourd'hui.
En fait, beaucoup de dirigeants actuels dans les domaines de affaires et de la politique sont des descendants d'anciennes familles de samouraï.
Bien sûr, l'histoire du budo n'est pas uniquement une histoire de bienveillance et de bon gouvernement. Le budo est une passerelle étroite entourée de précipices. Il est facile de tomber d'un côté ou de l'autre, dans la complaisance ou dans l'agressivité. Il est certain que l'histoire du Japon est souillée par de nombreux exemples de corruption, de cruauté et de violence comme dans toute société. Le budo a son coté noir. De même que les médicaments du médecin peuvent devenir des poisons dangereux lorsqu'ils sont utilisés à mauvais escient, les talents du samouraï peuvent engendrer beaucoup de maux et de tumultes. Néanmoins, l'idéal et le véritable but du budo demeurent la création d'une société forte et bienveillante, ainsi que la protection de ses membres.
Aujourd'hui, l'image du budo est distordue et le mot budo est interprété d'une façon très restrictive. Le terme budo est généralement traduit par l'ensemble des arts martiaux et militaires. Cette définition exclut le concept plus large du budo qui en fait une voie d'étude très profonde.
O sensei Morihei Ueshiba a dit : « Bu est amour ». Ce n'était pas une définition arbitraire ou exotique, mais une conclusion réfléchie, fondée sur toute une vie de recherche, d'expérience, de méditation et de travail. Au-delà de tout cela, c'était une conclusion basée sur une vision en profondeur des secrets de la vie.
Yokuko no shi
Le budo est le principe de centre. Il ne connaît pas le conflit des contraires. C'est une voie qui nécessite d'abord misogi ou «purification spirituelle». Les budoka doivent purifier leurs coeurs et leurs esprits de désirs excessifs et de pensées négatives. Ils doivent rétablir dans leurs coeurs la compréhension vraie de notre nature divine. Redevenir unifié à Dieu par l'amour pur et la dévotion du coeur a été l'enseignement originel de budo depuis les temps anciens. Le plus haut niveau de conscience du budo, tel qu'il a été enseigné par les grands maîtres est la protection de la vie, pas sa destruction. Le but du budo pour celui qui pratique est de faire régner l'esprit universel en lui, dans la société et dans son pays. De fait, aujourd'hui, la personne qui suit la voie du budo ne peut limiter sa quête de la bienveillance, de l'ordre et de la protection de la vie à sa seule patrie. Le monde est devenu trop grand et en même temps trop petit du fait que la communication et la technologie moderne nous lient tous les uns aux autres. Les actes de n'importe quelle société retentissent sur toutes les autres nations. Nous formons une vaste communauté globale mais régie par la loi d'indépendance d'un organisme unique.
L'évolution du monde actuel doit changer de direction. On ne peut continuer à résoudre nos différences par les conflits et la guerre. L'historien britannique Arnold Toynbee présente de façon convaincante et éloquente dans son livre Civilization on trial (la civilisation en jugement) le danger qu'il y a à continuer sur cette lancée : « Pourquoi la civilisation ne peut elle continuer à avancer péniblement, d'échecs en échecs, sur la voie douloureuse et dégradante mais pas encore totalement suicidaire qu'elle a suivie depuis les quelques milliers d'années de son existence ? La réponse vient des inventions technologiques récentes de la classe moyenne occidentale. Ces gadgets qui permettent d'asservir des forces non humaines ne contribuent en rien à l'amélioration de la nature humaine. Des institutions telles que Guerre et Classe sont le reflet au niveau social du côté peu reluisant de la nature humaine parfois appelé pêché originel dan notre type de société que l'on nomme civilisation. Ces conséquences sociales du pêché originel n'ont pas été abolies par les avancées récentes et de mauvaise augure de notre savoir-faire technologique, ce qui ne veut pas dire cependant que ces avancées ne les ont pas modifiées. N'ayant pas été abolies, elles ont énormément gagné en puissance. Le concept de Classe est désormais capable de désintégrer irrévocablement la Société, et la Guerre peut annihiler la race humaine toute entière. Les maux qui, avant, étaient son seulement disgracieux et pénibles sont devenus intolérables et mortels, et c'est pourquoi notre monde occidental est maintenu confronté à un choix entre différentes alternatives que les dirigeants des sociétés anciennes ont pu éluder en en subissant à chaque fois les conséquences cruelles pour eux-mêmes mais sans mettre en péril l'histoire de l'humanité toute entière. C'est la raison pour laquelle nous devons relever un défi auquel nos prédécesseurs n'ont jamais été confrontés : Nous devons abolir la Guerre et le concept de Classe, et le faire maintenant dans la douleur car si nous nous dérobons ou si nous échouons, ils remporteront une victoire définitive et sans appel. »*

* Arnold J. Toynbee, civilization on trial (New york : Oxford university Press, 1948, pp 24-25)

Budo shingi
Reigi : Spirituel
Cette crise imminente est le danger que partagent toutes les sociétés industrialisées du monde. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de redécouvrir et de revenir au principe originel du budo et de ne plus se fourvoyer dans une compréhension limitée du budo en tant que simple art militaire. La voie de l'Aïkido est la voie du budo. Cette voie est celle de l'amour, du respect et de l'adoration des principes divins qui alimentent ce monde vivant et ses habitants. La mission des étudiants du budo, des samouraï modernes, n'est pas l'usage de la force militaire sans discernement mais d'unifier le monde en une seule grande famille. Nous devons marcher à la lisière étroite du désastre avec courage et un coeur pur, dévoués à cette seule cause. Le but du budo est de développer un esprit de paix à l'échelle du monde, de protéger et de favoriser l'épanouissement de l'humanité. Cela doit être réalisé sans effusion de sang, sans faire de mal aux autres, sans ôter la vie à quiconque. J'espère de tout mon coeur que les habitants du monde entier seront amenés à comprendre la vérité du budo. J'ai demandé une fois à O sensei : «Quelle est la chose la plus importante pour s'entraîner au budo ?» Sa réponse a été : «L'élément le plus essentiel est de faire preuve de courtoisie et de respecter les règles d'étiquettes dans la vie quotidienne ». La courtoisie et l'étiquette dont parlait O sensei n'étaient pas simplement de la politesse. Cela signifie plus que de ne pas se faire d'ennemis. Reigi (étiquette ou décorum) lorsqu'il est écrit avec un autre kanji signifie également « esprit ». Notre attitude, et sa manifestation dans nos actions, révèle notre vraie qualité spirituelle. Ceux qui ont du mal à se conformer aux règles de l'étiquette auront aussi des difficultés à apprendre la voie de l'esprit. Si vous n'avez pas de respect de vous-même, vous aurez du mal à assimiler les règles de l'étiquette. La courtoisie envers les autres est à la mesure de la croyance que vous avez en votre propre qualité spirituelle.
Etre condescendant ou grossier envers les autres vous déprécie vous-même.
L'élève du budo doit apprendre à être sans suki. Les suki sont des relâchements de la conscience qui créent des points faibles et des ouvertures. Les manquements à l'étiquette et à la courtoisie dont des suki qui vous laissent ouvert au mépris des autres. Je suppose que le lecteur fera lui-même la relation entre l'attitude mentale qui ne tolère aucun suki en courtoisie et la faculté d'être sans suki en self-défense.
Les suki nous empêchent aussi d'assumer nos responsabilités et de vivre notre vie pleinement et librement. Les plus grands maîtres des toutes les époques ont toujours été et sont encore aujourd'hui des personnes modestes et courtoises qui vivent leurs vies concentrées sur un but unique. L'étude de cet état d'esprit est une condition préalable à la maîtrise de l'Aïkido. Ceux qui ont acquis une compréhension profonde de l'Aïkido ont tous cette attitude en commun. En fait, les personnes vraiment remarquables dans un domaine quelconque de la vie et quelle que soit la société, sont tous humbles et sans prétention. De tels hommes ont en commun l'introspection et la réflexion et sont des personnes ayant de la grâce et de bonnes manières. Ceux qui pratiquent l'Aïkido, s'ils veulent devenir utiles à la société, doivent incorporer ces hautes qualités humaines.
Pour changer et améliorer le monde, nous devons nous changer et nous améliorer nous-mêmes. Cela constitue le commencement de l'entraînement au budo. C'est une obligation pour l'étudiant de budo, et d'Aïkido, de devenir capable de continuer la tradition du budo d'une manière qui s'accorde avec le principe originel du budo. Voilà la raison et le but de votre entraînement en Aïkido.
Saotome Mitsugi

A lire :
"Les principes de l'Aïkido"
Saotome Mitsugi
Editions Allo Sport


Merci à Saotome Sensei, aux éditions "Allo sport", ainsi qu'aux "dossiers de Karate Bushido" pour leurs autorisations à reprendre ce texte.
Les photographies de cette page ont été retraitées de façon numérique. les clichés d'origine appartiennent à Jean Paoli. Les calligraphies sont l'oeuvre de Maître Saotome.

Merci enfin à Anne pour son aide à la saisie de ce texte.

"Les principes de l'aïkido"
de Mitsugi Saotome -
Editions Allo Sport - 2003
pour l'édition française

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