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Le kendo, voie du sabre ou voie de l'escrime japonaise, possède un passé historique unique qui se perd dans la nuit des temps mythologiques japonais. Les premières traces connues de la pratique d'une escrime au sabre remontent à l'ère de Nara (environ 700 après J.C.); la tradition nous rapporte qu'à cette époque reculée, dans la formation de base des kugé, nobles de la cour impériale, la pratique du tatchigaki ou kumitatchi, exercices à deux des techniques de sabre était enseignée. Néanmoins, comme il n'existe pratiquement aucun témoignage écrit et précis sur l'escrime avant le début du XIVème siècle, on ne peut attribuer la création du kendo à un ou plusieurs professeurs, ni encore moins la dater. |
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d'après une photo de D.Legendre |
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- Son origine découle d'un long substrat de combats réels effectués au fil des siècles par les guerriers japonais dont la dextérité, le courage et aussi les sabres, étaient de loin antérieurs à cette époque. Les premiers recueils écrits historiques et officiels, Kojiki et Nihonshoki, dont la complication remonte vers 710 après J.C., relatent que l'empereur Kammu (736-805), une fois la capitale impériale transférée de Nara à Kyoto, décida la création d'un Butokuden, centre d'études des arts martiaux, dans l'enceinte de son nouveau palais. Durant cette période appelée Heïan Jidaï (794-1185), la pratique de l'escrime fut chose quotidienne pour les jeunes nobles de la cour impériale. Malheureusement, la cour de Kyoto sombra graduellement dans le piège d'une vie trop facile où les plaisirs de l'esprit et des sens prirent rapidement le dessus sur l'entraînement dur et fastidieux des disciplines martiales... C'est ainsi que d'année en année, vers la fin du XlIème siècle, le pouvoir de la cour de Kyoto étant devenu si faible et les Taïra allant de défaite en défaite dans leur lutte contre le clan des Minamoto, les rênes du gouvernement tombèrent aux mains de ces derniers. Les Minamoto fixèrent leur capitale à Kamakura, ville située à l'opposé de Kyoto et surtout d'une valeur stratégique évidente pour contrôler tout le pays. Ils y établirent un gouvernement militaire, Bakufu, que dirigeait un régent nommé par l'empereur, le Shogun, véritable dictateur militaire du pays. L'âge d'or des Bushi ou Samouraï, ainsi que des fabuleux sabres japonais de l'époque Koto, allait commencer.
L'installation des Minamoto à Kamakura ouvrait l'ère du même nom : Kamakura Jidaï (1192-1333), ère qui ne laissera à l'empereur, toujours à Kyoto avec sa cour, qu'un pouvoir spirituel et symbolique. Le pays, régi par une caste militaire rigide, élitiste, parfaitement organisée et bénéficiant d'un environnement favorable, allait permettre l'instauration graduelle du code moral des Bushi pour aboutir au fil du temps au fameux Bushido, code et voie des guerriers. Le pouvoir politique aux mains des militaires, le kendo ne pouvait que progresser. C'est ainsi que durant l'ère de Kamakura les techniques de sabre s'affinèrent et que beaucoup d'éléments spirituels, religieux, voire philosophiques, furent intégrés au kendo et sa pratique systématisée. Cependant, les Bushi, usés par le pouvoir, ne surent conserver les destinées du Japon qui passèrent au clan des Hojo et enfin incombèrent à la famille des Ashikaga. Après une période faste, le kendo allait retomber en désuétude du fait du déclin des disciplines militaires et martiales connu pendant la moitié du XIVème siècle. Ce déclin durera le « règne » de deux shogun et c'est grâce aux efforts soutenus du troisième shogun du clan Ashikaga, Yoshimitsu (1358-1408), qui encouragea vivement la création de salles d'entraînement spécialisées que, de nouveau, la pratique des arts de la guerre fut systématisée. C'est de cette époque également que date la séparation du kendo et du heïho, tactique militaire ou art de la guerre, car, auparavant, les deux disciplines étaient enseignées et étudiées de pair. Le heïho se spécialisera dans l'art des batailles, des manoeuvres et tactiques de groupes (sen ha ken jutsu); le kendo focalisera son étude et sa pratique sur le seul affrontement de deux guerriers armés d'un sabre (ryu ha ken jutsu). La fin de l'ère Muromachi (1392-1573) fut marquée par des guerres sanglantes entre les Daymio, grands seigneurs féodaux de l'époque, qui se disputaient et se déchiraient sans trêve pour la possession de fiefs et de richesses. Ces périodes troublées sont restées dans l'histoire japonaise sous le nom tristement célèbre de Sengoku Jidaï (1490-1600), époque des guerres civiles.Cet état de guerres permanent poussait chacun à l'étude du kendo, ne serait-ce que pour survivre. Aussi, partout dans le Japon, les Daymio encourageaient à outrance leurs troupes à l'étude des armes, en général, et du kendo, en particulier. Ceux qui parmi leurs hommes connaissaient, et surtout maîtrisaient parfaitement l'art du sabre, en retiraient un immense prestige et une haute position sociale.
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C'est au cours de ces années de guerres perpétuelles que l'étiquette du kendo, « régi », se dégagea peu à peu, que les conditions de pratique et surtout les relations, « giri », de maître (senseï) à disciple (deshi) furent codifiées progressivement. De nombreux styles de kendo virent le jour et sur plus de mille écoles, « ryu ha », recensées alors, il n'en reste que quelques dizaines encore pratiquées de nos jours.
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La plus ancienne photo du Kendo (D.R.)
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- Malgré la pluralité des écoles et le manque de sources précises, les spécialistes s'accordent à dire que l'école de Nen Ryu est vraisemblablement la plus ancienne; elle fut fondée par Nen Namijion vers 1400. L'arrivée au pouvoir du clan des Tokugawa (Edo Jidaï 1603-1867) et l'installation définitive du gouvernement à Edo, actuelle Tokyo, accompagnée d'une paix toute relative, allait permettre aux samouraï de se consacrer presque exclusivement à l'étude et à la pratique du kendo qui devint un véritable art érigé en modèle d'éducation par la caste des Bushi pour toutes les valeurs qu'il contenait: physique, morale, spirituelle, philosophique et esthétique. Dans ces temps-là, bien que les duels aient été réprouvés par la loi, de nombreux assauts commencés au bokken, sabre de bois, dans une salle d'armes, se terminaient en règlements de comptes ou en vengeances sanglantes dans la rue au katana. Devant cette situation et ses excès, quelques Senseï, véritables novateurs, tels que : Ono Tadaki, Iba Zésuiken, Téranishi Kanshin et surtout Nakanishi Chuta eurent, vers le milieu du XVIIIème siècle, l'idée de créer des protections qui permettraient une pratique sans danger, plus réelle car, avec une armure bien adaptée, les coupes et les piques pourraient être réellement portées... Le changement des méthodes de pratique, le port de protections et, plus encore, l'utilisation d'un sabre de bambou, le shinaï, allait aboutir à de nombreuses scissions au sein des Dojo et beaucoup de deshi, absolument contre le kendo avec protections et la transformation de leur arme, quittèrent leurs Maîtres pour devenir Ronin, samouraï sans Maître, et tester leurs techniques « réelles » à travers tout le Japon. Le kendo moderne se dessinait peu à peu; malheureusement, en 1868, l'interdiction du port des sabres aux samouraï porta un rude coup au développement de la discipline qui fut bien près de tomber dans l'oubli; la modernisation et l'occidentalisation du Japon de l'époque Meïji, Meïji Jidaï (1868-1915), y était aussi pour beaucoup... Malgré cette situation précaire pour la survie et l'avenir du kendo, quelques Senseï, sous la direction de Sakakibara Kenkichi (1830-1894), multipliaient les démonstrations, travaillaient sans relâche pour éviter au kendo et au patrimoine culturel qu'il représentait, de disparaître à tout jamais. Sakakibara sollicita des autorités la possibilité pour le peuple de pratiquer le kendo (1893), chose qui lui était jusqu'alors interdite et qui devait, dans l'idée de Sakakibara, donner un sang nouveau à la discipline... Le tenace Sakakibara pouvait s'éteindre heureux car, bien qu'aidé une fois encore par des préparatifs de guerre, le kendo moderne allait se développer rapidement et quantitativement : les soulèvements contre le gouvernement incitèrent la police de Tokyo à créer un cours de kendo (1879); la guerre Sino-japonaise (1894-1895) et la guerre Russo-japonaise (1904-1905) redonnèrent le goût de la pratique du kendo et des disciplines martiales aux jeunes japonais. A Kyoto, derrière l'ancien palais et mémorial impérial, Heïan Jingu, un Butoken, centre d'entraînement et école d'arts martiaux, fut ouvert en 1895, et une majorité de très hauts gradés parmi les professeurs actuels de kendo, iaïdo, judo et naginatado, furent formés par cette prestigieuse école. Dans les premières années de l'ère Taïsho (1915-1918), un kata de kendo fut élaboré et codifié par les plus grands Senseï de l'époque, dont le fameux Nakayama Hakudo (1868-1958).
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En 1909 lut fondée la première association japonaise de kendo qui devait, par la suite, se transformer en fédération nationale. Dès 1939, le kendo fut pratiqué dans les écoles primaires et inscrit au programme d'éducation physique officiel. Pendant et quelque temps après la deuxième guerre mondiale, retiré de son contexte, fortement teinté d'ultranationalisme et ses aspects guerriers les plus négatifs exhaussés, le kendo tomba en disgrâce, fut interdit par l'armée américaine et retiré de tous les programmes scolaires et éducatifs. |
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Okada Sensei avec J.P. Reniez et A.Tuvi (D.R.) |
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- Durant cette sombre période, quelques fanatiques de kendo profitèrent de l'interruption de la pratique pour épurer la discipline de ses côtés hypernationalistes et militaires, pour en dégager la forme moderne plus sportive et définitive que nous connaissons et pratiquons aujourd'hui: le shinaï kyogi, littéralement lutte au shinaï. L'année 1952 vit la réintégration du kendo dans les programmes scolaires, 1953 la réintégration dans les programmes nationaux d'éducation physique. La fédération japonaise de kendo de tout le Japon (zen nihon kendo renmeï) vit le jour en 1952 et, dès 1957, la pratique du kendo dans les écoles primaires fut de nouveau instituée et un décret de 1962 en rendit sa pratique obligatoire dans toutes les écoles et tous les lycées du pays. A l'heure actuelle, au Japon, toutes les écoles, associations, universités, grandes entreprises privées, la fonction publique, l'armée, la police... possèdent leurs propres Dojo, ainsi que leurs cours de kendo quotidiens et chacun organise de nombreux championnats et tournois que suivent d'innombrables adeptes enthousiastes du kendo, de tous les âges et de toutes classes sociales. Le kendo se pratique dès l'âge de trois ans et ce, jusqu'au déclin des forces physiques. Mais grâce à ses bienfaits, c'est souvent jusqu'à son dernier souffle que l'on peut pratiquer et de nombreux Senseï de plus de quatre-vingts ans ont encore une verdeur que beaucoup de jeunes européens n'auront jamais...
De nos jours, les spécialistes laissent entendre qu'il y aurait plus de vingt-trois millions de pratiquants dans tout l'archipel nippon... Depuis la création de l'« International Kendo Federation » (I.K.F) en 1970, le kendo, véritable vecteur de la culture et de l'histoire japonaise, est étudié et pratiqué dans plus de trente pays. En Europe, onze pays regroupés au sein de l'« European Kendo Federation » (E.K.F.) rassemblent plus de 7000 pratiquants. Le kendo est avant tout un art martial; à travers sa pratique et l'entraînement se dégage sa philosophie réelle: recherche de l'équilibre, de la plénitude de la maîtrise de soi dans un esprit de paix. Grâce à l'armure, aujourd'hui, le kendo peut être pratiqué par, tous sans limite d'âge, sans danger, avec un engagement total du corps et de l'esprit. L'enfant, la femme, l'homme qui pratique le kendo verra son agressivité disparaître au profit d'une combativité contrôlée qui lui servira dans tous les domaines de la vie. Un entraînement assidu lui permettra d'acquérir confiance en lui, de développer la promptitude de ses réflexes et la rapidité de son jugement et de sa réaction devant tous les événements. Enfin, en plus du développement harmonieux de la musculature et de la souplesse qu'il apporte, le kendo enseigne la courtoisie et le respect du partenaire.
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Le kendo se pratique avec: un keïgogi (veste) et un hakama (jupe-culotte longue), généralement bleus, une armure composée de quatre pièces: le men (casque destiné à protéger la tête), les koté (gants destinés à protéger les mains), le do (plastron pour la protection des flancs), le taré (protection des hanches), un shinaï (sabre composé de quatre lattes de bambou), et enfin un bokken (sabre de bois) long et un plus court utilisés pour les éducatifs, les kata et la pratique sans armure.
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Les frappes et points d'attaque au kendo
Il existe quatre frappes fondamentales en kendo : men ou frappe à la tête, koté ou frappe aux poignets (droit ou gauche), do ou frappe aux flancs (droit ou gauche), tsuki ou coup d'estoc à la gorge de l'adversaire de la pointe du shinaï : Une frappe ne peut être considérée comme valable que si le déplacement du corps, le déplacement du sabre et le kiaï (cri ou son qui provient du ventre, destiné à libérer l'énergie tant pour impressionner l'adversaire que pour amplifier l'attaque) sont simultanés lors de l'impact.
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Daprès une photographie de Buisson-Vandystadt
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Merci encore à la Fédération Française d'Aikido, Aikibudo et Affinitaires, à toute la rédaction d'Aikido Magazine, et particulièrement à Jean-Pierre Réniez, l'auteur, pour leurs autorisations à reprendre cet article .
Merci enfin à Marie-hélène pour son aide à la saisie de ce texte.
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Jean-Pierre Réniez est un des pionniers des arts martiaux traditionnels japonnais en Europe et l'un des plus hauts gradés hors du Japon en Kendo et Iaido. Il dirige le Shobukan Dojo, 255 avenue Daumesnil à Paris dans le 12e où il délivre des cours de Iaido, Jodo, Kendo, Battodo et Kobudo
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