Arts
La calligraphie ou
"l'écriture du coeur"
Par Shuya Yamamoto


Ce texte est paru dans Aikido Magazine N°3,
d'o
ctobre, novembre et décembre 1984

Les plus anciennes traditions chinoises prêtent à l'écriture un pouvoir magique. Elle serait une prise de possession de l'univers dont elle sonde et perce les secrets. Bien que ce caractère sacré de l'écriture se soit peu à peu effacé, il persiste encore de nos jours dans l'art calligraphique.


Aikido Magazine N°3,
Octobre - Novembre - Décembre 1984
Trimestriel édité par l'AIA (Association de l'Information de l'Aikido) Dépot légal :
4ème trimestre 1984

Jusqu'au VIè siècle, le Japon fut un peuple sans écriture et sans peinture. Il est tout à fait probable que, avant cette date, des immigrants chinois et coréens aient fait office de scribes auprès des chefs de clan. Tout comme la Corée et le Vietnam, le Japon fit sienne l'écriture chinoise, et par là même, la calligraphie.

Au sens strict, la calligraphie se distingue de l'écriture, par le fait qu'elle utilise cette dernière, indépendamment de ses fonctions de communication et d'information. Elle est en fait le support d'une création formelle, susceptible, par ses seuls rythmes plastiques, d'exprimer la sensibilité individuelle des son auteur.

La calligraphie est un « Art qui utilise l'écriture pour s'exprimer ». On dit que « si les paroles sont la voix du coeur, l'écriture est la ligne du coeur ».

La calligraphie est l'essence de la vie du calligraphe. La vie est une chose abstraite mais l'art est de lui donner une forme. L'art est la beauté. La vie est l'essence de la beauté. Si l'ont veut exprimer avec sincérité la vie, il en naît obligatoirement la beauté. La sincérité est la forme la plus réelle de la vie. Si l'artiste dessine en étant troublé par la présence d'autrui, il lui est impossible d'exprimer la vie avec sincérité. Il en est de même s'il veut paraître habile, ou montrer sa supériorité aux autres.

La calligraphie doit non seulement donner forme à l'essence de la vie mais, pour rester humaine, traduire aussi les défauts et les désirs de l'homme. Ceux qui peuvent exprimer leurs défauts, en plus de leur propre vie, peuvent être considérés comme des artistes. La voir de la calligraphie n'est pas chose facile.

Le Shoodo est un entraînement destiné à exprimer son « moi » intérieur. C'est une éducation vivante de la vie. Une calligraphie qui exprime l'essence de la vie réelle, transforme l'instant en éternité. Le corps de l'homme est limité, mais la vie invisible est illimitée. La calligraphie est la transformation en art visible de cette vie invisible, afin de la rendre éternelle et accessible à l'homme.

A l'origine, la calligraphie ne constitue pas un métier spécialisé, mais une discipline spirituelle pratiquée par l'élite intellectuelle et sociale des lettrés.

En revanche, à l'ère Heian, la calligraphie faisait partie de la vie quotidienne et beaucoup de gens très habiles s'y adonnaient. C'est à cette époque qu'ont vécu les très célèbres calligraphes : Kukaï, Saga Tennô et Tachibana no Hayanari, que la tradition japonaise connaît sous le nom des « trois pinceaux ». Ono no Michikaze, Fujiwara no Sukemasa, Fuyukinari sont aussi d'excellents artistes.
Calligraphie originale
de maître Yamamoto
A l'époque Asuka (vers l'an 800), les calligraphes japonais suivaient le style chinois « Rokuchô » ; Vers l'an 672 (ère Hakuo), le style « Shôtô » ; vers l'an 710 (ère Nara) les styles « Tô » et « Ogino » (ce dernier étant considéré en Chine comme une génie de la calligraphie).

Cependant, Ono no Dofu (l'un des derniers grands calligraphes japonais) adapta le style Ogino pour le rendre plus élégant et plus doux, créant ainsi un style typiquement japonais. Ce dernier prit un grand essor, éclipsant le style chinois.

L'époque fujiwara (de 900 à 1100) fût l'âge d'or du style japonais « Wayo ». entre 1192 et 1332 (ère Kamakura), les échanges de moines entre la chine et le Japon s'intensifièrent et de nouveau le style chinois reprit le dessus ; cette prédominance se poursuivit jusqu'à la fin de l'ère Edo (1868).

Au début de l'ère Meiji (1868) Seijin Chôshuke vint au Japon et y relança le style Rokuchô. Ce dernier eut une telle vogue qu'il occulta presque totalement le style japonais. Cette évolution montre combien la calligraphie chinoise et la calligraphie japonaise sont étroitement liées, et combien la première eut d'influence sur la seconde.

Toutefois, à partir du modèle chinois, le Japon élabora peu à peu un style original dans lequel s'exprimaient la sensibilité et le sens du décor qui sont les caractéristiques essentielles de l'art japonais ;
Si l'on veut schématiser la différence entre les calligraphies japonaises et chinoises, on peut dire que des dernières sont dures et violentes alors que les premières sont douces et calmes.

En chine, depuis les temps anciens, la tradition perpétuait la technique de la calligraphie et les calligraphes en étaient tellement imprégnés qu'ils en tiraient dignité et profondeur. En revanche, au japon, bien que la technique de la calligraphie ne soit pas négligée, la faveur allait à un style plus libre. Plus que la maîtrise de l'art calligraphique, c'est l'expression du caractère et de la personnalité du calligraphe qui était recherchée.
Maître Schuya Yamamoto en train
d'effectuer une calligraphie
Par ailleurs, les caractères chinois (kanji), destinés à rendre compte d'une langue sans flexion, s'adaptaient mal aux nuances des conjugaisons japonaises. On leur adjoint donc un syllabaire sont les vingt six signes représentent, chacun, la moitié d'un caractère sous sa forme la plus cursive (Kana). Plusieurs de ces Kana pouvaient être tracés s'un seul coup de pinceau. Ce choix significatif du goût japonais pour la simplification permettait la rapidité.

Les caractères utilisés dans la calligraphie japonaise sont anguleux pour les kanji alors que pour les kana, l'accent est mis sur la mouvance des lignes. Les kanji sont construits et structurés, alors que les kana sont plus libres et musicaux. Pour construire un kanji, on utilise différents points et traits alors que les kana sont un assemblage de lignes mouvantes.

Grossièrement, on pourrait dire que les kana sont une forme simplifiée des kanji : On en a supprimé tous les traits inutiles, pour ne laisser que l'indispensable.

Les kana étant un syllabaire, chaque signe représente un son, et non une idée. Parfois, un signe peut représenter un mot ; souvent, il en faut plusieurs. Par exemple, le son « KA » peut faire référence à plusieurs concepts, tels « odeur », « moustique », « feu » ou « fleur » ; c'est le kanji qui apporte le sens propre du son. Les oeuvres écrites en kana sont presque exclusivement des poèmes : Tanka (31 syllabes) ou Haïku (17 syllabes).

La calligraphie est actuellement très à la mode au Japon. Beaucoup de gens pratiquent cet art et presque chaque jour s'ouvre une exposition de calligraphie.

Comparées aux calligraphies anciennes, les calligraphies modernes sont de moins en moins bonne qualité. Comparées à celles de la fin du XIXème siècle ou du début du XXè, elles sont parfois moins bonnes, parfois bien meilleures. Par rapport aux calligraphies du Moyen-âge, on ne peut pas vraiment dire qu'elles sont de moindre qualité.


Une calligraphie ancienne
(antérieur à l'an 1000 de notre ère)
de l'empereur Saga.
Les calligraphies modernes, en revanche, offrent une grande diversité du style : classique, ancien, moderne ou d'avant-garde.

De tout temps, la calligraphie japonaise a été limitée à trois styles : Kaisho, Gyôsho et Sosho. Désormais, d'autres styles réapparaissent, tels que les styles Tensho ou Reisho. Il est beaucoup plus aisé en effet de consulter et d'admirer des reproductions chinoises anciennes, de nos jours, et donc de s'en inspirer.

Dans l'écriture moderne des kana, les calligraphes reproduisent presque toujours le style de l'ère Fujiwara. Toutefois, ils ne devraient pas se contenter d'imiter cette technique ; il est indispensable et urgent qu'ils créent un nouveau style kana.

Il existe de nombreuses associations japonaises d'admirateurs de calligraphie qui apprécient les qualités intrinsèques de la calligraphie. Pour le commun des mortels, il reste que c'est l'expression de la personnalité de l'auteur ou des on humanité qui est la plus importante.

Au Japon, dans les expositions de calligraphie, on remarque beaucoup d'oeuvres qui semblent, au premier abord, similaires. Beaucoup d'artistes font de la calligraphie, mais peu encore expriment leur propre personnalité. La plupart se contentent d'imiter les calligraphes célèbres anciens ou leur professeur. On ne peut pas vraiment parler d'art.

Un calligraphe digne de ce nom doit être capable d'exprimer sa personnalité, avec ses qualités et ses défauts et trouver son propre style expressif. Lorsqu'il est capable d'exprimer sa personnalité, on peut dire de lui que c'est un calligraphe.

On trouve, en effet, beaucoup d'oeuvres dans lesquelles l'auteur a proté tout son effort sur la technique de la calligraphie mais d'où est absente sa personnalité.

De nos jours, on trouve beaucoup de représentations d'objets, le pinceau étant utilisé pour créer une oeuvre d'art, où les notions de lecture ou de facilité de lecture sont absentes. L'importance est donnée à la forme et à l'utilisation du pinceau. C'est un style d'avant-garde beaucoup plus artistique, dans lequel la technique et l'expression sont valorisées.

Ces diverses tendances sont encore peu connues, bien que très dynamiques ; elles aboutiront certainement à un nouvel art graphique, éloigné de l'écriture, et pourtant issu de la calligraphie.

Shuya YAMAMOTO



Le matériel et la technique
Le matériel nécessaire à la calligraphie comprend le pinceau,
l'encre, l'encrier et le papier.

LE PINCEAU (Fude)
En Chine, l'histoire du pinceau est très ancienne. Il semble qu'il ait déjà été utilisé à l'époque de la pierre. On a en effet retrouvé des statuettes datant de 4000 avant J.C. sur lesquelles des signes avaient été écrits au pinceau
A l'époque des Khan (221 avant J.C.), on utilisait des poils de bêtes sauvages que l'on pinçait en touffe dans une tige de bambou ou de bois et que l'on maintenait en place avec un fil. Vers l'an 600 de notre ère, les poils s'allongèrent et vers 960, les pinceaux ressemblaient déjà à leur forme actuelle.
Les pinceaux sont classifiés en fonction de la longueur et de la qualité de leurs poils : Poils de mouton, de tigre, de blaireau, etc.

LE PAPIER (Kami)
La technique du papier utilisé pour la calligraphie a été importé au Vème siècle et, au fil du temps, les Japonais l'ont améliorée pour produire un papier fait à la main, de très haute qualité. La matière première utilisée peut être du broussonetia, du daphné papyrifère, de l'écorce, ou du chanvre. Il y a une grande différence entre les papiers industriels et ceux faits à la main. Les papiers faits à la main se prêtent beaucoup mieux à l'écriture et la calligraphie est beaucoup plus belle, faisant ressortir les pressions du pinceau et l'aspect rustique du papier.

LENCRE (Sumi)
La qualité de la calligraphie dépend beaucoup de celle de l'encre de chine utilisée. L'encre de chine est faite de poudre de noir de carbone végétal ou minéral mélangé à de la colle.
Au Japon, l'encre de chine est connue depuis l'ère de Kamakura (vers 1200). Traditionnellement, elle se présente sous la forme d'un batonnet. De nos jours, on trouve de l'encre liquide ou en pâte ; également d'autres couleurs que le noir traditionnel.

LENCRIER (Suzuri)
Les encriers les plus réputés sont importés de Chine. Les encriers sont utilisés pour fabriquer l’encre à partir des bâtonnets d'encre. Ils semblent lisses ; en réalité, ils sont légèrement abrasifs. Plus le grain est fin et régulier, meilleure est l'encre obtenue ;
La préparation de l'encre est une chose importante et c'est devant l'encrier que l'on se prépare psychologiquement à la calligraphie.
La calligraphie est donc tracée à l'encre, sur soie ou sur papier, au moyen d'un pinceau.
Le pinceau allie la simplicité de structure à une souplesse illimitée d'application, mais requiert du calligraphe une intense concentration, à la fois physique et spirituelle, acquise seulement après de longues années d'exercice.
L'encre aussi recèle d'inépuisables ressources : onctueuse ou fluide, employée avec largesse ou parcimonie, laissant le pinceau saturé et en touches grasses, ou à demi-sec pour ne révéler que le trait, elle permet d'obtenir les effets les plus divers.
Le papier, quant à lui, se comporte comme un buvard : il absorbe aussitôt, de manière active et indélébile l'attaque du pinceau et l'imprégnation de l'encre.
Le calligraphe travaille donc avec des instruments vivants qui lui permettent de réaliser spontanément cette oeuvre qui est « une empreinte de son coeur ».

Merci encore à la Fédération Française d'Aikido, Aikibudo et Affinitaires, à toute la rédaction d'Aikido Magazine, et particulièrement à maître Yamamoto, l'auteur, pour leurs autorisations à reprendre cet article .

Merci enfin à Anne pour son aide à la saisie de ce texte.

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