Aïkido et jeu d’Echecs
Proposition de résonances
entre deux arts martiaux

Par Marc chousterman

S’il est un jeu passé dans le domaine de l’art, c’est bien le jeu d’échecs. Partie longue ou bien Blitz, la confrontation tient beaucoup de la stratégie militaire. Alors, « art martial » que ce jeu ? Et pourquoi pas ! Qu’en est-il, dès lors, des similitudes avec cet autre art martial qu’est l’Aïkido ?


L’Aïkido, tout comme les échecs, repose sur des principes dont l’acquisition est longue et laborieuse. Parmi ces principes, il en est un qui, bien que récurrent, n’en est pas moins essentiel et aucun aïkidoka – avec un peu d’ancienneté – ne peut se targuer de ne jamais s’être entendu dire par son professeur : « Fais attention, tu n’es pas centré ».

Restez centré ! -
Et pour celles et ceux qui jouent aux échecs, quelle résonance dans cette injonction !
Faisant montre de trésors d’inventivité, des générations de GM (Grands Maîtres) des échecs développèrent des solutions prêtes à l’emploi pour faire face aux différentes configurations d’attaque ou de défense. Le « gambit Dame » est à cet égard un exemple typique de tentative d’appropriation du centre par un déséquilibre provoqué. Les trois diagrammes ci-dessous montrent un Gambit accepté. Un pion blanc (c2-c4 : flèche n°3) est envoyé sur le coté du centre où se trouve déjà un pion noir : pion « important » car occupant le centre.

NB un pion avance tout droit et ne peut prendre qu’un pièce en diagonal et devant.

Diag.1 d2-d4 (1) et d7-d5 (2) début typique/Contact sur Tsuki
Diag.2 c2-c4 (3) menace le pion noir/déplacement et Atemi/le pion noir le prend
Diag.3 les noirs ont un pion quasi perdu et les blancs possèdent le centre

L’objectif est simple : libérer ce centre ou, à défaut, l’occuper également pour rétablir l’équilibre.

Celui qui a le centre, celui-là domine le jeu car il est face au roi et le menace, car chacune des pièces occupant le centre possède une force et un rayonnement décuplés.

De même qu’aux échecs, l’aïkidoka ressent très vite cette nécessité intérieure d’avoir à maîtriser le centre. D’abord difficile à comprendre puis à acquérir, elle devient naturelle et même instinctive par la suite.

Et toute partie d’échecs porte en elle ces tentatives quasi systématiques de maîtrise ou de récupération du centre. Ainsi, bien souvent, pour le conquérir ou le reconquérir, un joueur sera amené à déséquilibrer sa position : déséquilibre qui profitera à celui qui domine le jeux et que celui-ci tentera d’entretenir jusqu’à la chute du roi adverse (aux échecs, faire chuter son roi signifie que l’on abandonne).
Quelle étonnante résonance, ici ! Maîtriser le centre – se déséquilibrer pour revenir au centre perdu – prolonger le déséquilibre pour enfin amener à la chute…

Les échecs tout comme l’Aïkido proposent une infinie variété de constructions. Et l’étude des échecs porte souvent sur des positions dont le seul et unique but – du moins au début – est la possession du centre de l’échiquier. Rester centré… Ces séquences de départ portent le nom d’ « ouvertures » car elles débutent (ouvrent) la partie. Les blancs commencent : ils attaquent et les noirs répondent par une défense. Et tout comme en Aïkido, ces combinaisons qu’il faut connaître, portent des noms : la Sicilienne, l’est-Indienne ou encore la Caro-Khan.
D- Le Clouage -
En Aïkido, les atémis ne sont (ne devraient être) que des propositions de contact à Uke. Ils entraînent une technique amenant à une immobilisation ou à une projection. Le clouage aux échecs possède à cet égard une résonance particulière avec l’Aïkido. Une pièce, même très puissante, peut être paralysée (on dit « clouée ») par une autre moins forte. Prenons le cas du fou qui se déplace en diagonale du nombre de case qu’il veut.

Dans le diagramme ci-contre, le fou noir en g2 menace le cheval blanc en d5. En temps normal, cela ne gênerait nullement le cours du jeu mais le cheval se trouvant devant le Roi blanc en a8, il ne peut plus être utilisé pour la stratégie du jeu car s’il bouge, le fou pourrait prendre le roi.

On retrouve cette notion de clouage ou d’immobilisation en Aïkido avec la forme Juji Garami sur Ai hanmi Katate dori. L’atemi proposé par Tori rencontre soit la main (le cheval) de Uke soit sa tête (le roi). Résonance donc ! en cet instant de contact où la main qui protége Uke, l’autre toujours en saisie, est clouée et ne constitue plus une menace (i.e. une pièce active au sens échiquéen) et devenant un axe de déséquilibre pour Uke. Ici, les blancs devront 1- protéger leur cheval 2- dégager leur roi avant de pouvoir continuer à jouer, perdant ainsi deux précieux temps de jeu. Notons ici également l’importance primordiale du temps.

Plus le pratiquant s’entraîne, plus ces thèmes s’ancrent en lui. L’aïkidoka tout comme le joueur d’échec sentira la perte du centre comme une déconnexion à quelque chose de plus profond : ils subiront tous deux intérieurement ce déséquilibre et tenteront d’y remédier. Et la maîtrise du temps est une notion très forte aux échecs : la perte d’un temps donne souvent lieux à une course vaine se soldant parfois par le mat.

Tous ces thèmes sont finalement autant de pistes proposant des options qui sont autant de finales d’échecs.

- Résonances des finales -


Si l’on oublie le « Pat », il y a deux fins possibles aux échecs.

La « partie nulle » s’achève sur une position où les pièces restantes ne peuvent plus rien donner tactiquement et les deux joueurs doivent se résigner à arrêter la partie sans vainqueur ni vaincu. Cette fin résonne ainsi trompeusement avec l’Aïkido car, dans les faits, ces parties s’arrêtent fautes d’armes de part et d’autre pour continuer ou finir la partie. Résonance Aïkido insoutenable donc où Tori et Uke s’arrêteraient après s’être tous deux cassés bras et jambes…
L’« échec et mat » (viendrait de Shah mat = le roi est mort - il y a d’autres origines) est une position dans laquelle le Roi est menacé par une pièce et, quel que soit son mouvement ou celui d’une autre pièce, il sera pris au prochain coup. En d’autres termes, il est immobilisé et aucun mouvement n’y pourra rien changer. Etonnante résonance ici dans l’immobilisation qui termine un mouvement d’Aïkido… ou dans la chute car tout comme en Aïkido, le joueur d’Echecs fait chuter son Roi pour s’extraire d’une situation perdue.

Une fois la partie terminée, les joueurs replacent leurs pièces et changent de côté. Une fois la technique effectuée, Uke et Tori se remettent en place, prêts pour un Yokomen sur lequel Tori effectuera un Ikkyo ou un Kote Gaeshi tout comme un joueur d’échecs optera pour une Sicilienne là où il avait débuté la partie précédente par une Est-Indienne. Résonance donc dans cet éternel recommencement consenti de part et d’autre.

Et finalement cette récurrence amène une autre résonance. Résonance dans l’objectif : la victoire. Mais peut-être s’agit-il inconsciemment – en Aïkido comme aux échecs – d’une victoire « Masakatsu Agatsu » sur soi…

Marc Chousterman

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