Revue de presse
Mitsugi Saotome, tradition et évolution.

Saotome est l'un des experts les plus charismatiques de l'Aïkido mondial. Ses longues années d'études auprès d'O Sensei se sont enrichies d'une expérience personnelle qu'il n'a cessée d'approfondir et de compléter. Au-delà de la maîtrise technique, Saotome insiste encore et toujours sur le message humaniste de Morihei Ueshiba.

Arts et Combats N°16, février 1995 - Publication édité par Multimédia Publications
Le moins que l'on puisse écrire, c'est que l'expérience de la guerre et de ses ravages a laissé sur Mitsugi Saotome de profondes cicatrices qui l'ont sans doute conduit inconsciemment à s'orienter vers un art pacifique comme l'Aïkido. L'image des morts d'Hiroshima et de Tokyo hante l'esprit du garçonnet de 8 ans, la faim lui tenaille l'estomac. Pourtant, il a déjà la tête pleine de rêves ; comme tous les enfants du monde, il veut devenir ingénieur (il entamera des études dans cette perspective) et il aime les sports, tous les sports.
Mais, comme il le dit lui-même, il lui manquait quelque chose, ce quelque chose qui était l'Aïkido. Il fut initié par un orfèvre en la matière, Yamaguchi sensei, qu'il rencontre à l'Aikikai. Saotome a 17 ans. Yamaguchi, dit ce dernier, fut le véritable premier professionnel à 100% de l'Aïkido. Les autres enseignaient à mi-temps ou à temps partiel. Saotome pense que la contribution de Yamaguchi sensei à la création de l'Aikikai ne saurait être oubliée et qu'il ne serait pas juste de ne pas reconnaître aujourd'hui sa dimension. Yamaguchi sensei est aussi celui qui a donné au jeune Mitsugi une direction pour mener sa vie de tous les jours.
A cette époque-là, les classes à l'Aikikai étaient peu nombreuses, pas plus de dix élèves. Le Hombu Dojo vivait très pauvrement, les professeurs n'étaient pas payés (Saotome se souvient de son premier salaire de trois dollars comme Uchi-dechi). Dans ce contexte, vouloir devenir enseignant malgré tout exigeait des sacrifices.
Bien entendu, comme les autres pratiquants d'Aïkido, Mitsugi rêvait de devenir Uchi-dechi d'O Sensei, qui passait son temps entre Iwama et le Hombu Dojo. Il devra attendre cinq années pour réaliser cet objectif, le fondateur n'ayant pas les moyens de nourrir tous les prétendants à l'initiation suprême. (...)
La leçon d'O Sensei
O Sensei n'a jamais enseigné un style, affirme, catégorique, Mitsugi Saotome, ce que très peu ont compris. Les élèves venaient pour acquérir des techniques et partaient ensuite créer leur propre école. Au contraire, dit Saotome, Morihei Ueshiba, à la suite d'une longue recherche en solitaire, a délivré un message qui consiste à réfléchir sur la manière dont une société peut se développer dans le cadre d'une paix profonde. Celui qui se lance sincèrement dans la pratique de l'Aïkido devra découvrir le sens de sa mission personnelle tout en saisissant les racines profondes qui génèrent les conflits à l'intérieur de la société.
O Sensei, explique Mitsugi Saotome, montrait des visages très différents selon qu'il s'adressait à des élèves impliqués ou pas. Avec les élèves qui l'étaient, comme Mitsugi, il était plutôt sévère. De la même façon, l'entraînement quotidien était composé des pratiques fondamentales, au cours desquelles il arrivait qu'O Sensei tienne des propos destinés à éclairer l'horizon spirituel de ses élèves. A Iwama, en revanche, on affinait les choses, dit Mitsugi, on mettait plus l'accent sur les détails qu'ailleurs. En résumé, Morihei Ueshiba a enseigné l'Aïkido en variant ses enseignements. Une direction que Saotome s'est efforcé de suivre dans ses cours.
Le credo de Saotome
Mitsugi Saotome estime que l'Aïkido actuel est trop réducteur et enfermé dans des schémas stéréotypés. Son constat se base sur la réflexion suivante : à partir du moment où les gens ont commencé à recevoir un enseignement de base, ils ne peuvent enseigner qu'un enseignement de base. Et, questionne-t-il, comment parvenir à enseigner quoi que ce soit de valable dans un stage lorsque tant de niveaux différents se côtoient ? Il y a trop peu de grands professionnels de l'Aïkido, estime-t-il. Beaucoup le font pour l'argent ou le profit qu'ils peuvent en tirer. Et Saotome d'avertir : au Japon, en Europe, dans le monde entier, l'Aïkido est devenu très populaire. Mais pour ces gens qui ont des grades élevés, quelle est pour eux la prochaine étape à franchir ? Pour Mitsugi Saotome, l'Aïkido est l'expression de la vie et non pas seulement un ensemble de techniques purement mécaniques. La relation entre les individus doit être vivante, précise Saotome. Chacun transporte avec lui tout le patrimoine génétique de l'humanité. Donc, il s'agit moins d'un processus mécanique que d'un processus d'évolution qui s'appuie sur une prise de conscience du principe d'action-réaction (feed-back) qui concerne aussi bien les domaines de la bio-mécanique que de la psychologie ou de la biologie. Aux yeux de Mitsugi Saotome, c'est cela qui confère à la pratique des arts martiaux un tout cohérent.
Alors, bien entendu, sur le long chemin de l'Aïkido qui mène à la réalisation de soi, il y a des erreurs à éviter. Saotome explique que le pratiquant doit prendre son temps, sans chercher à atteindre le succès au plus vite. Tout groupe qui se développe trop rapidement est menacé d'implosion. Et surtout, prévient-il, l'étudiant ne fait jamais que les erreurs de son professeur. En dernier lieu, c'est ce dernier qui est toujours responsable. Une autre erreur, s'écrie Saotome, a consisté à créer une fédération internationale à l'emporte-pièce.
Quand O Sensei est mort, il y a eu nécessité d'engager un processus de communication pour développer l'Aïkido à travers le monde. Mais plutôt que de recueillir l'opinion de tous les pays, on a privilégié une construction de type féodale, avec des « royaumes » où chacun fait sa loi sur son territoire.
Zen et Aïkido
Un certain nombre de commentateurs, pourtant autorisés, font un lien évident entre la pratique du Zen et l'Aïkido. Saotome ne pense pas ainsi. Il estime que l'Aïkido est une voie qui apporte quelque chose de plus vivant et de plus positif que la pratique du Zen et que cette voie se suffit à elle-même. L'Aïkido tient lieu de troisième voie pour Mitsugi Saotome : ni purement spirituelle ou sportive mais pratique. Bref, un art qui mène à une certaine spiritualité. Mais, dit Saotome en guise de conclusion avec quelque nostalgie dans la voix : l'Aïkido s'est popularisé mais en se popularisant il s'éloigne des principes de bases édictés par O Sensei.

Propos traduit par Jean François Douche et recueillis par S.Mairet.

Merci à Multimédia Publications, pour son autorisation à utiliser cet article sur ce site .

Merci enfin à Fabrice pour son aide à la saisie de ce texte.

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