Ikeda Sensei,
l'Aiki, un pratiquant...
et une réponse !

Par Dominique Rolos

Depuis bien longtemps, je cherchais une réponse à une question qui me torture l’esprit et le corps depuis mes débuts dans le monde de l’Aikido.
Eh bien croyez le ou non, j’en ai trouvé une qui m’ouvre tant de perspectives que je ne remercierai jamais assez Ikeda Sensei de me l’avoir fournie.
Certains se disent, ça y est ! Encore un ésotérique qui pique sa crise ! Attendez, je vous explique…
ertains se disent, ça y est encore un ésotérique qui pique sa crise ! Attendez, je vous expliqu

J’ai rencontré l’Aiki par hasard en 1982, au Havre, par l’intermédiaire d’un ami Kendoka qui m’a entraîné dans un Dojo pour voir cet art Martial spécial sans compétition. Et là pour la première fois de ma vie je vois la réalisation d’un mouvement que je reconnaîtrais plus tard comme étant Shiho Nage Ura. Splendide ! Fluidité, pas d’opposition frontale, un prof de ma taille (autour d’1m65) et qui explique que tout est dans le mouvement.
Je garde cela en mémoire et je vaque à d’autres occupations. Puis en 1986, je cherche une activité physique, sans compétition, qui permet le développement de l’esprit et du corps, et qui, enfin, me permettrait de connaître des techniques de défense. Là me revient la leçon de 1982. Eh ! C’est le paragraphe du dessus, j’espère que vous n’avez pas déjà oublié.
Je lis des tas de choses sur les arts martiaux et convaincu, je m’inscris dans un club d’Aikido.

D’aucuns diront qu’ils n’ont encore vu aucune question poindre dans ce texte. Sceptiques que vous êtes, j’y arrive…
Que lis-je partout au sujet de l’Aikido ? Je vous la fais courte : Art martial non violent, permettant quelle que soit sa taille de vaincre son adversaire sans faire appel à sa force.
La question ? Comment c’est-y qu’on fait pour ne pas faire appel à sa force ?
Demandez à nombre de pratiquants si cette question ne leur a pas travaillé l’esprit.

Moi, je suis plutôt têtu et quand j’ai une question aussi intéressante en tête, je ne cesse de chercher une réponse la plus satisfaisante possible et surtout qui ouvre vers le développement d’autres découvertes. Comme dans toutes les activités humaines d’ailleurs.
Et puis, plus prosaïquement, avec mes 1m64 et 58 kg, je ne vois pas comment je pourrais dompter physiquement des gars plus grands et plus forts que moi. La lecture du Journal de Mickey est très pernicieuse à ce sujet….

La réponse ? Eh ! Pas si vite ! Il faut que je vous raconte en premier lieu comment une bonne question peut recevoir de multiples réponses toutes pleines de bonnes volontés mais qui offrent plein de pièges.
Réponse 1 : Une des plus immédiates : tout réside dans la technique !
Euh …. Oui, mais des années de pratiques m’ont permis de constater qu’énormément d’Aikidoka utilisent des techniques de façon … comment dire …. musculo-squelettique. C'est-à-dire que Tori a les muscles, et Uke a les douleurs sur toutes les articulations, voire même dans les côtes flottantes. D’ailleurs moi-même j’ai utilisé bassement mes quelques possibilités musculaires pour « infliger » des techniques à mes pauvres partenaires qui ont eu la malchance d’être plus faibles que moi. Honte !!!
Ensuite on devient expert en technique, notamment je n’étais pas mauvais dans ce rôle et assez souvent on me demandait quelle était la forme de la technique pour le passage de grade. Un référentiel, c’est commode, mais on devient vite une espèce de dictionnaire verbeux.
Du point de vue de la pratique on devient Ikkyoka, Shiho nage Ka, bref un technique-KA. Pour un Aikidoka, c’est très moyen, mais confortable-ka !
Cela ne m’a pas convaincu, et la réponse n’est pas suffisante, car trop fermée. J’ai donc continué à chercher !

Réponse 2 : certes il y a la technique mais il y a aussi la qualité de l’exécution de la technique.
On entre dans la qualitatif, ça m’a plu. Je me suis donc lancé à fond. Je me suis nettement amélioré : j’essayais, tout intérieurement, de mesurer les angles, le timing (calcul du temps de l’attaque compte-tenu de la distance à parcourir comparée au délai pour mon bras pour s’élever tout en déplaçant le pied vers l’extérieur), la force à déployer, etc... A un moment donné, je me suis dit qu’un ordinateur pourrait très bien faire de l’Aiki. D’ailleurs j’ai un peu essayé et ses réponses concordaient parfaitement aux différentes lectures de quelques livres de techniques, j’étais sur la bonne voie !
Mais malgré tout, il y avait une personne dans mon club qui faisait 1m80 et pas mal de kilos qui malgré mes calculs d’expert ne bougeait pas !!! Ma qualité de technique s’améliorait mais lui s’obstinait à ne pas en tenir compte. J’aurais pu l’ignorer, et vivre ma vie en bon 2e Dan, et dire de lui : c’était spécial !
Mais je ne peux me contenter d’un si piètre manque de foi !!! Et surtout on m’aurait menti !! Alors qu’O Sensei âgé et malade faisait voltiger dans les airs des jeunes hommes pourtant déjà haut gradés en Aiki ? Légende ou réalité ? Abandonner ou creuser ? Je suis têtu !
Réponse 3 : bon sang mais c’est bien sûr ! Il faut le faire bouger ! Le mouvement, j’avais
oublié 1982 ! (Vous aussi, amis lecteurs vous aviez oublié ! Si ! Si ! Je le vois dans vos yeux !)
Alors à fond les bananes, je fais bouger tout ce qui peut bouger. Mon colosse me dit d’ailleurs : « dès que je bouge, tu passes vachement mieux la technique. Il suffit de me faire bouger !». Notez l’adjectif « mieux » ….
Et là, alors que tout semble rentrer dans l’ordre, je me dis : et si … il ne veut pas bouger !! C’est son avantage pourquoi le perdrait-il ? Faut-il alors que chaque fois qu’un costaud arrive, il faille le faire bouger !! Et puis même quand il bouge, pour moi une masse de 90 kg au moins qui fonce sur 58 Kg tout sec, je n’ai pas droit à l’erreur dans la technique, sinon ça coince drôlement ! Faites l’essai !

Décidément, si cette réponse améliore les choses, elle part sur un présupposé, le plus fort accepte des conditions défavorables. Pourquoi bougerait-il si une fois qu’il saisit, il est le plus fort ? Quand Obélix tape un romain, est-ce que ces mêmes romains lui demandent de bouger ! De toute façon c’est trop tard !

Réponse 4 : il faut accommoder le ying et yang et déployer ton énergie interne.
Si, si j’ai eu aussi cette réponse. Alors là, c’est plus compliqué. Allez donc vérifier que votre énergie interne est équilibrée au moment de passer un mouvement ! J’ai aussi essayé, mais là il aurait fallu que je me lance dans d’autres arts martiaux, et je n’ai pas le temps. De plus j’ai réalisé des échanges avec des pratiquants partageant ces principes et, ma foi, il m’a souvent semblé que l’effort de musculation permettait de bien équilibrer son Yang violemment sur le Ying du partenaire. Mais l’objectif de le faire sans effort s’éloignait ….
Bon alors, c’est quoi la réponse !
Eh bien, je vais essayer de traduire ma compréhension de la démonstration d’Ikeda Sensei.
D’abord plantons le décor : un stage, un dojo, deux enseignants (C’est important la relativité, demandez au train d’Einstein…), un japonais-américain, un français. Bon rien que de très classique, seulement qu’Ikeda Sensei ne vient pas souvent en France.
Ikeda Sensei débute le cours, un peu de façon traditionnelle, presque un cours d’évaluation. Suit le cours de Tissier Sensei avec son dynamisme habituel et des explications très techniques. Et là le stage bascule…. Quand Ikeda Sensei reprend le cours suivant, son objectif ne semble plus être le même. Si je peux m’aventurer à faire une hypothèse, je pense qu’Ikeda Sensei a vu que Tissier Sensei était tout à fait à l’aise dans un cours technique, et que lui, n’était pas là pour faire doublon. Je pense (mais je n’étais dans aucune des têtes !!) qu’Ikeda Sensei a choisi de marquer son cours sur les aspects de l’Aiki autour de la technique.

Mais que nous dit-il et que montre-t-il ?
Il énonce que la technique est déjà passée alors même qu’elle n’a pas commencé. Aaaaaah ???
La relation qui s’établit entre Uke et Tori est déjà empreinte de la direction que Tori va impulser. C’est dans la qualité de la relation (l’union ?) à l’autre que s’établit la technique. Le mouvement d’Aiki est précédé d’une liaison avec l’esprit et le corps de Uke et, dès lors, la technique efficace n’est que le point d’achèvement du lien avec Uke. Tout est alors facile puisque Tori est déjà en union avec Uke et lui a indiqué le chemin à suive.
Tout le monde a tout compris ? C’est bien, parce que moi… pas ! Je n’étais pas le seul.
Alors que montre-t-il ? Visuellement cela donne quoi ?
Je vais m’attarder sur deux mouvements dans les plus simples que j’ai vus, ceux qui m’ont permis d’entrevoir une certaine forme de réponse.
Premier mouvement :
Uke : fixe, le poing tendu comme s’il se trouvait en fin de course d’un coup de poing haut.
Ikeda Sensei : objectif : faire reculer Uke = 2 phases :
1 – il essaie avec sa force physique de faire reculer Uke. Uke ne bouge pas
2 – il se met en relation avec Uke, puis Ikeda Sensei le fait reculer avec un seul doigt posé sur le poing d’Uke.

Deuxième mouvement :
Uke : fixe, le poing tendu comme s’il se trouvait en fin de course d’un coup de poing.
Ikeda Sensei : objectif faire Ikkyo = 2 phases :
1 – il essaie avec sa force physique de faire Ikkyo. Uke résiste et ne bouge pas
2 – il se met en relation avec Uke, puis Ikeda Sensei fait Ikkyo. Il peut le faire très lentement ou très vite. Il doit avoir un variateur de vitesse incrusté…
Ce dernier mouvement peut se faire avec un Uke en action, mais là on perd de la connaissance et cela semble plus facile puisqu’on retourne aux vieilles habitudes (cf. réponse 3).

Compréhension : la force de Tori (ou de Uke) n’entre pas en ligne de compte. Seule la qualité de la relation à l’autre permet le mouvement.

Et là, j’ai ma réponse ! Oui un costaud ne perd pas son avantage et peut ne pas vouloir bouger ! C’est à Tori de trouver les moyens humains d’entrer en relation et de trouver le point faible d’Uke pour se protéger et réaliser une technique. La technique en relation avec l’autre…
Mais alors, tout ce texte pour ça !!! Pour un tour de magie auquel il croit ! Il nous prend pour des caves !

En premier lieu, je n’étais pas le seul à le voir, mais il est vrai que l’illusion collective peut exister.
En second lieu, j’ai demandé à un des Uke ayant « subi » ce mouvement par Ikeda Sensei, ce qu’il avait vécu. Laissons lui la parole : « Quelque soit la force que je mettais, je ne pouvais faire autrement que de suivre la direction donnée par Ikeda Sensei. En fait je ne sens rien que le mouvement, sans impression de force. »
En troisième lieu, j’ai travaillé plus longtemps avec le même Uke qui était plus fort et plus rigide que moi. J’en profite pour le remercier ainsi que tout ceux qui m’aident dans cet esprit. Eh bien, croyez-le ou non, une ou deux fois, j’ai senti cette « chose » ou tout parait facile (sur environ 50 essais !), alors qu’auparavant Uke ne bougeait pas. Et la technique que je prodiguais était la même, seul mon état d’esprit était différent.
En dernier lieu, et ce me semble le meilleur argument. Personne n’y arrivait autour de moi. Et les discussions qui suivirent le cours étaient claires. Tout le monde était perturbé. Beaucoup de pratiquants, même parmi ceux qui suivent l’enseignement de Saotome Sensei (Sensei d’Ikeda Sensei) se refusaient d’admettre cette explication.

Je pense que plus de 90% des pratiquants de ce stage sont repartis avec l’idée qu’il y avait un truc ou que c’était impossible à réaliser.
Paradoxalement, les débutants ou pratiquants récents avaient beaucoup moins, voire peu de suspicion. On pourrait rétorquer que leur manque d’expérience en est la cause. Je préfère écouter nos maîtres qui nous enseignent d’avoir toujours l’esprit du débutant pour aborder une technique ou un mouvement.
D’ailleurs quand on cherche un peu, Saotome Sensei montre le même principe mais de manière plus masquée. Souvent on vante l’aspect percutant de ses techniques (dur dur pour ses Uke !), mais son objectif n’est pas que l’on soit percutant, son objectif est que nous apprenions à maîtriser notre violence. Combien de fois nous a-t-il dit que lorsqu’il montrait des techniques percutantes voire violentes, toute l’assistance était réveillée mais que quand il parlait d’amour et montrait les techniques plus « douces », tout le monde s’endormait. Souvent les pratiquants sourient en entendant cela, mais pourquoi ? Saotome Sensei nous dit que nous ne travaillons pas ce qu’il faudrait et nous en sommes heureux ? Est-il simplement un amuseur d’Aikidoka en mal de variété technique ? Je ne pense pas que les pratiquants viennent à ses stages pour uniquement cela, ils savent qu’il tente d’enseigner un autre niveau. Mais lequel ? Peut-être que le message d’Ikeda Sensei est plus clair.

Endo Sensei en stage ne nous explique pas autre chose. Il contrôle le partenaire avec douceur et un calme infini sans avoir à donner du jeté d’aikidoka dans tous les sens.
C’est dans cet esprit et avec de nouveau le sentiment d’avoir à évoluer sur de nouvelles bases, élargies, que je me lance dans cette voie. Je ne sais pas encore comment le pratiquer, ni à quels résultats je vais aboutir. Mais comme à mes débuts où tout me semblait difficile voire impossible, je m’accrochais parce que d’autres m’avaient dit que c’était possible. Ikeda Sensei a montré une chose possible, je vais tenter l’expérience. Ce sera toujours mieux que de répéter (in)lassablement les mêmes techniques.

Alors oui « Enchô », prolongeons cet esprit qui plus que celui de Endo, de Saotome Sensei, ou d’Ikeda Sensei est celui d’O Sensei. La recherche de la paix. Mais pas celle des moutons, celle qui permet de faire respecter son intégrité sans endommager celle de l’autre.
Mais pour cela, c’est notre paix intérieure qu’il s’agit d’apprivoiser. Celle qui permet d’aller autour de la technique, pour sortir de l’ikkyo-ka, du shiho-nage-ka, du "comme ci comme ça-ka", du dan-ka, du chef-de-l’aikido-ka. Celle qui permet d’entrer en relation avec Uke pour faire cadeau de la technique.
Quelle perspective !!!
Pourtant en regardant en arrière, chacune des réponses qui ont été fournies était correcte, mais elles n’étaient qu’une fraction d’un tout. Il faut sans doute passer ces étapes, pour aborder d’autres dimensions. Expliquons ces étapes comme telles aux pratiquants, pour éviter l’essoufflement, la lassitude mais aussi l’assurance de soi.

Je me remets en question une nouvelle fois pour mon plus grand plaisir, en attendant peut-être une nouvelle réponse à ma question. Mais je crois que j’ai encore une bonne vingtaine d’années devant moi… et beaucoup de stages … avec vous !!

Dominique Rolos

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